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| Dans ce numéro:
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| Éditorial | |
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Par Gérard Mercure Du patrimoine retrouvé au patrimoine à sauvegarder La Fédération des amis de l’orgue tenait en juillet dernier son assemblée générale annuelle à l’Oratoire Saint-Joseph et faisant coïncider ses assises avec le concert en soirée d’une grande figure de l’orgue, Marie Claire Alain. Le choix du lieu et de l’événement étaient doublement significatifs. Les orgues Beckerath de l’Oratoire, de la Queen Mary Road United Church et de l’église de l’Immaculée-Conception, magnifiquement illustrés par ce concert à l’Oratoire, ont marqué le début d’une réforme de l’orgue au Québec, réforme considérée par l’histoire comme un retour aux sources. L’une des questions importantes à l’ordre du jour de la réunion a été l’avenir des orgues au Québec. Car du patrimoine retrouvé des années 1960, nous en sommes hélas! aujourd’hui au patrimoine à sauvegarder. Comme l’assemblée de l’an dernier avait donné comme mandat à la direction de la fédération « d’aller aux sources et de tirer au clair la situation relative de la Fondation du patrimoine religieux », le conseil a confié le dossier à Martin Yelle, qui dans l’éditorial du numéro 22 de « Mixtures », a fait le compte rendu de ses premières rencontres avec les autorités religieuses. Cette préoccupation de la FQAO pour la sauvegarde les orgues est d’autant plus d’actualité que la Commission de la Culture de l’Assemblée Nationale du Québec a entrepris une consultation générale avec auditions publiques sur le patrimoine religieux du Québec. La FQAO y a présenté un mémoire au début de septembre. Martin Yelle a bien voulu, une fois encore, en être le porte-parole et rédiger au cours de l’été un mémoire au nom de la FQAO. Heureusement, il n’a pas été le seul à attirer l’attention du gouvernement sur le sort des orgues au Québec puisque deux autres membres ont soumis des mémoires : Antoine Leduc, à titre personnel comme organiste et avocat, et « Orgue et couleurs » en tant que société de concert. « Mixtures », un travail d’équipe L’une des préoccupations internes du conseil d’administration au cours de cette année a été de poursuivre la publication de « Mixtures ». Monsieur Arel a accepté de retourner au marbre de l’imprimeur pour la sortie des deux derniers numéros 21 et 22 de la revue. Nous l’en remercions chaleureusement. À la réunion du conseil d’administration d’avril dernier, nous avons réparti les tâches entre nous de façon à le libérer complètement de cette responsabilité de rédaction et à lui laisser le plaisir d’être un simple lecteur de « Mixtures ». Pas tout à fait puisqu’il continue de présenter ses recensions de livres et de disques et de compiler sa revue des revues. L’équipe de rédaction de « Mixtures » se compose maintenant de Michelle Quintal, à la recherche des collaborateurs, de Robert Poliquin à la collation des textes, de Jean-Paul St-Germain à la révision des manuscrits et à l’expédition, et de Martin Yelle à la publicité, de Réal Gauthier aux finances, votre président assurant la coordination du tout. À six, nous devrions pouvoir remplacer celui qui en fut le directeur depuis le premier numéro de la revue. Sera sans doute mis aussi à contribution, Dominique Lupien, titulaire des orgues de la Basilique Notre-Dame-du-Cap, nouvellement élu au conseil d’administration en remplacement de Gilles Rioux qui se retire après une participation active et très appréciée à la direction de la fédération depuis ses débuts. Le montage et la conception graphique continuent d’être assurés par Anne-Marie Arel (Italique inc.). Vous trouverez dans le présent numéro, le premier volet d’un article sur « Léonce de Saint-Martin, successeur de Louis Vierne à Notre-Dame de Paris ». Cette collaboration spéciale est de François Widmer, directeur de la revue suisse « L’Orgue, revue indépendante ». Mixtures maintient des liens constants avec cette revue qui accueille périodiquement dans ses pages la chronique d’Irène Brisson « Anniversaires en musique ». Comme quoi notre bulletin de liaison, qui traite en premier lieu de l’orgue au Québec, est aussi ouvert sur le monde. |
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| Philippe Bournival par Michelle Quintal |
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Qui suis-je? Je joue la flûte à bec, la flûte traversière, le piano, le clavecin, la trompette, l’accordéon, l’orgue. Qui suis-je? Musicien polyvalent, organiste, improvisateur, compositeur. Qui suis-je? Philippe Bournival. Né aux Trois-Rivières le 27 mars 1975, sa mère, qui joue joliment Chopin, lui enseigne les notions de base et de piano : Philippe a 4 ans. Son père, qui étudie la guitare, chante dans la section des voix d’hommes des Petits Chanteurs de Trois-Rivières. Vers l’âge de 10 ans, Philippe est admis dans cette école. Pendant trois ans, il a la chance de fréquenter le répertoire de haut niveau interprété par cette maîtrise dirigée par Mgr. Claude Thompson. Il bénéficie aussi d’un entraînement rigoureux : solfège, piano, répétitions pour la musique sacrée chantée à la grand’messe, à la cathédrale de la ville et répétitions pour concerts et tournées. Philippe se souvient, avec enthousiasme, de la tournée européenne de 1988 : tous les choristes chantant de mémoire Gabrieli, Josquin des Prés, Dufay, Messiaen, Desrochers, Charpentier, Duruflé, Schütz, César Franck, J.S. Bach, Janequin, du folklore, au rythme d’un concert ou d’une messe par jour (ou même les deux) et ce, pendant 30 jours. Quelle expérience! À l’occasion de ses études secondaires à l’école Sainte-Ursule, il découvre le jazz. Il travaille le piano avec Jasmine Chouinard (auparavant, il avait étudié avec Renée Lavergne), la flûte traversière, mais surtout la trompette avec Luc Darveau, élève de Serge Chevanelle. Philippe aime jouer dans un ensemble de cuivres, il veut devenir trompettiste professionnel. En 1991, il est admis au Conservatoire de musique de Trois-Rivières dans la classe de trompette de Serge Chevanelle. Il choisit cependant de travailler l’orgue comme instrument complémentaire. Notons qu’il avait commencé à accompagner son père, animateur à la paroisse Saint-Laurent et pour ce, il utilisait les deux claviers et aussi le pédalier du pauvre instrument électronique installé dans ce lieu. Il recevait cependant un petit cachet. Raymond Perrin, organiste et professeur passionné par son instrument, l’amenait voir, et surtout toucher, les instruments de la région dont le Casavant électro-pneumatique de la Basilique Notre-Dame-du-Cap (3 claviers, 75 jeux dont 3 en chamade). Imaginez l’émerveillement, l’excitation d’un jeune musicien s’entendant jouer le Petit Prélude et Fugue en do majeur de J.S. Bach1 dans cette vaste enceinte! Plus tard, il ira toucher le Casavant de la chapelle du Séminaire Saint-Joseph (3 claviers, 32 jeux, électro-pneumatique) où l’instrument fait corps avec l’acoustique du lieu, de même que le Létourneau 1988 (2 claviers, 25 jeux, traction mécanique) installé à l’église Sainte-Catherine-de-Sienne. Il avait déjà été initié à ce type de traction, le Conservatoire ayant acquis, en 1979, un orgue Casavant à traction mécanique de 7 jeux répartis sur 2 claviers. Gilles Rioux, organiste à la Basilique depuis 1988, l’engage pour accompagner des offices au Petit Sanctuaire de Notre-Dame-du-Cap, à la fréquence de 5 ou 6 fois par semaine au début, mais peu à peu, il joue 10 célébrations par semaine et finalement, Philippe remplace occasionnellement le titulaire à l’orgue de la Basilique. Il est payé pour ce travail. Force lui est de constater qu’il réussit beaucoup mieux à jouer de l’orgue que de la trompette. En 1994, décision importante, il délaisse la trompette et choisit l’orgue comme instrument principal. La réalité lui saute aux yeux, il a du travail rémunéré comme organiste! En l’an 2000, il a obtenu son diplôme d’études supérieures II dans la classe de Raymond Perrin. Depuis, il a donné des concerts pour Pro Organo (Mauricie) Inc., Les récitals d’été du Cap, Le Festival Orgue et Couleurs, Les Amis de l’orgue de Rimouski, Les Amis de l’orgue des Bois-Francs. En 2003, il a joué l’orgue de l’église Saint-Germain-des-Prés à Paris. En plus de ses cours d’orgue, Bournival était assigné aux cours d’écriture et d’improvisation. Quel bonheur pour lui! Il avait toujours voulu composer; enfant, il avait fait quelques tentatives mais le résultat ne l’avait pas satisfait. « Et Mozart qui composait à 8 ans », se désolait-il. Il avait eu cependant le bonheur de côtoyer des compositeurs vivants tels Alain Beauchesne, un collègue de Sainte-Ursule, Gilles Rioux, Raymond Perrin, Claude Thompson et surtout Gilles Bellemare2. Avec ce compositeur-professeur qui a été chef attitré de l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières pendant plus de 25 ans, Philippe a étudié l’harmonie, le contrepoint et la fugue, études qui se concluront par l’obtention d’un module en écriture. Mentionnons qu’à l’Université du Québec à Trois-Rivières, il avait aussi suivi des cours d’arrangement et d’orchestration dans la classe de Claude Boisvert (musicien détenant un doctorat en composition). Depuis 1998, il a composé des fugues dont Fugue sur un thème de César Franck (œuvre qui a été créée par Raymond Perrin lors des Récitals d’été du Cap, le 25 juillet 1999), des préludes et fugues et différentes œuvres pour orgue composées à l’occasion de ses cours d’écriture. Il jouera Prélude et Fugue # 1 lors de son examen de concours. En 1998, il a épousé Magali Lemieux et, pour la cérémonie religieuse, il a écrit Marche nuptiale, Méditation pour voix, clarinette et orgue, et Prière pour violon, clarinette et orgue. Pour le 250e anniversaire de la mort de J.S. Bach, il compose, en l’an 2000, Chanson kaléidoscopique sur B.A.C.H. pour violoncelle et orgue. L’année suivante, à la demande de l’organiste Raymond Perrin et du violoncelliste Sébastien Lépine, apparaît Fantaisie pour violoncelle et orgue. Il jouera fréquemment Prélude, tango et fugue, œuvre écrite en l’an 2000, suite à une commande du Festival Orgue et Couleurs. « Qui suis-je? », fantaisie pour orgue, quatuor vocal et quintette de cuivres a été commandée, en 2002, par Pro Organo (Mauricie) à l’occasion de son 35e anniversaire; le texte est de Magali Lemieux. Introduction et Passacaille en ré mineur pour orgue solo a été commandée, en 2004, par Pro Organo (Mauricie) à l’occasion du concert « Hommage au Conservatoire de musique de Trois-Rivières », l’institution fêtait alors son 40e anniversaire d’existence. Pour cette œuvre, Philippe a choisi de s’inspirer de « Introduction et Passacaille » de Max Reger, œuvre qu’il a découverte lors de ses études au conservatoire et qu’il aime particulièrement. Pendant deux ans, il a travaillé l’improvisation avec Raymond Perrin. « Ce nouveau mode d’expression m’a aidé à développer les amorces de mon langage. Avant de mettre l’œuvre sur papier, je l’improvise à l’instrument » m’expliquait Bournival. Avec ses collègues de Trois-Rivières, Claude Beaudoin et Gilles Rioux, il a fait partie de la Ligue d’improvisation à l’orgue (L.I.O.) qui a gagné un match en 2002. Dans Toccate et Blues, dernier mouvement de sa première symphonie, il demande à l’organiste d’improviser une partie au pédalier. Lors de son interprétation, le 28 novembre 2004, du Concerto en ré mineur, opus VII no 15, de G.F. Haendel, il a improvisé le deuxième mouvement puisque le compositeur avait indiqué « Ad libitum » (l’orchestre à cordes du Conservatoire de Trois-Rivières était dirigé par Gilles Bellemare). « Ce jeune homme est inspiré, musicien très versatile, il a un langage qui lui est propre. Il peut cependant improviser sur demande dans n’importe quel style, en respectant le minutage imposé » témoignait Raymond Perrin, arbitre des matchs d’improvisation à l’orgue. Versatile? Au concert « Hommage à Serge Chevanelle », le 11 février 2005, il a accompagné, à l’orgue, Luc Darveau qui fut son premier professeur de trompette, et il a aussi joué de la trompette. À l’occasion de cette entrevue, il a joué accordéon et piano. En février dernier, il a fait une journée de concerts en Ontario où, en compagnie de Magali Lemieux, avec laquelle il forme le Duo Impromptu, ils ont interprété leurs « Chansons génétiquement modifiées » dont Philippe a écrit la musique et, quelquefois, le texte. Organiste à l’église Saint-Laurent, il accompagne de multiples chorales dont Vocalys, La Maîtrise du Cap, la chorale du Conservatoire, etc. Polyvalent? Sa musique a servi de trame sonore dans les pièces de théâtre de l’Arbre-muse3 : Le pré bleu de la lune (2000), Le chemin d’Artémise (2001) et, Le printemps de Monsieur Clément (2002). Pour le Duo Lépine (piano et violoncelle), il a mis en musique le conte sibérien : « Le jeune homme ours ». Et pour sa mère, il a écrit : Petite pièce triangulaire, Le temps d’un tango, Valse à ma mère, Danse fantaisiste. Conclusion « On a peu d’occasions dans une carrière de professeur de rencontrer un tel talent. Ce fut gratifiant pour moi de lui enseigner, d’assister à sa découverte de lui-même. Je suis très fier de ses réalisations, quelle que soit l’esthétique de ses œuvres » me disait Gilles Bellemare. À mon tour, je témoigne : ce fut stimulant d’enseigner solfège, harmonie, clavecin complémentaire à un élève doué qui a soif d’apprendre et qui est, de plus, travailleur et discipliné. L’élève dépasse le maître. N’est-ce pas là le but de l’enseignement? Qui suis-je? J’ai 30 ans, j’ai écrit pour orgue, piano, guitare, violoncelle, voix, quatuor vocal, quatuor de cuivres, violon, clarinette. Qui suis-je? Philippe Bournival, compositeur. Notes :
Orgue solo
Composées à l’occasion du cours de fugue suivi par Philippe Bournival au Conservatoire de Trois-Rivières dans la classe de Gilles Bellemare, ces œuvres sont considérées, par le compositeur, davantage comme des exercices d’écriture que comme des œuvres de création. Quoique composée à l’occasion du cours de fugue suivi au Conservatoire, cette œuvre utilise des harmonies plus contemporaines. Le prélude exploite des effets d’écho en employant les trois claviers de l’orgue. La fugue, avec le thème joué en accords plaqués, fait appel à la virtuosité de l’interprète. Philippe Bournival a joué cette œuvre lors de son examen de Concours (1ere année) ainsi que lors d’un récital d’élèves à la Basilique du Cap. Composée à l’occasion du mariage du compositeur en décembre 1998 et interprétée par Raymond Perrin, cette marche nuptiale emploie un langage romantique. Ce prélude, tango et fugue se divise en deux mouvements. Le premier mouvement a la forme d’un prélude non mesuré. L’auditeur est entraîné dans une course effrénée se terminant par des formules rythmiques inusitées pouvant être improvisées. Le deuxième mouvement utilise les formes du tango et de la fugue. Le thème langoureux et sensuel exposé dès les premières mesures met en place la couleur sonore propre au tango. Le sujet de la fugue apparaît au milieu du mouvement. Tous les éléments propres à la fugue sont présents, soit le sujet, le contre-sujet et la strette. Quant aux divertissements, ils viennent unir le tout en rappelant la saveur du tango. Il s’agit d’une symphonie en quatre mouvements dont les harmonies sont inspirées de la période post-romantique. Dans le premier mouvement, le compositeur exploite crescendos et decrescendos en faisant appel à des changements de registrations rapides. Le deuxième mouvement, intitulé Il était une fois un crescendo, est bâti à la manière d’un thème et variations. Le thème débute au pédalier sur un tempo assez lent pour être ensuite accéléré progressivement tout au long du mouvement. Le troisième mouvement, baptisé Une grenouille mélancolique, propose un solo accompagné. Le quatrième mouvement, Toccate et blues, a pour particularité d’avoir une partie improvisée au pédalier au centre du mouvement. Cette pièce fut créée lors des Récitals d’été de la Basilique Notre-Dame-du-Cap en l’an 2000 par le compositeur. Commandée par Pro Organo Mauricie à l’occasion du concert « Hommage au Conservatoire de musique de Trois-Rivières », institution qui fêtait son 40e anniversaire d’existence, Philippe Bournival a choisi de s’inspirer d’Introduction et Passacaille de Max Reger. Ainsi, un parallèle s’établit entre la structure de l’œuvre de Reger et celle de Bournival : une introduction tempétueuse, orageuse et fougueuse, suivie d’une passacaille contrastant par un début tout en douceur et en tendresse qui, progressivement, laisse place à une finale magistrale et émouvante. Pour la passacaille, Bournival s’est inspiré du contour de la basse de Reger tout en y apportant quelques modifications. Le langage harmonique utilisé par le compositeur est cependant très différent de celui utilisé par Reger. Cette œuvre fut créée, par le compositeur, à l’église Sainte-Catherine-de-Sienne, le 28 novembre 2004. Orgue et autres instruments
Écrite à l’occasion du cours de fugue dans la classe de Gilles Bellemare. Ces deux œuvres ont été composées et créées à l’occasion du mariage du compositeur. Tout comme dans le cas de la marche nuptiale, ces deux pièces ont été écrites dans un langage inspiré de la période romantique. Inspiré par le langage de Ligeti, cette œuvre a été créée, par l’auteur et le violoncelliste Sébastien Lépine, à l’occasion d’un concert soulignant le 250e anniversaire du décès de J.S. Bach, concert organisé par Pro Organo Mauricie, en l’an 2000. Commandée par l’organiste Raymond Perrin et le violoncelliste Sébastien Lépine, cette œuvre est inspirée par la musique espagnole. Les deux musiciens cités ci-devant l’ont créée dans une adaptation pour violoncelle et clavecin au Moulin seigneurial de Pointe-du-Lac, en septembre 2001. Commandée par Pro Organo Mauricie à l’occasion de son 35e anniversaire et dédiée à tous les bénévoles qui s’y sont succédés, cette fantaisie est inspirée par un poème de son épouse, Magali Lemieux. Ce texte exprime une quête existentielle. Transportant l’auditeur dans des directions diverses et inattendues, le compositeur utilise plusieurs rythmes issus des traditions musicales africaines et indiennes. Cette œuvre a été créée à l’église Sainte-Catherine-de-Sienne, le 21 avril 2002. |
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| Académie estivale d'orgue McGill par François Grenier1 |
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J'ai eu la chance et le bonheur de participer à l'Académie d'orgue de l'Université McGill à Montréal (édition 2005) qui se tenait du 4 au 14 juillet. Aussi, il me fait grand plaisir de vous parler de mon expérience. Cette académie d'envergure internationale reçoit des participants et des professeurs de différents pays. Les professeurs invités se voient assigner chacun une église ou une salle de concert pour enseigner. Cette année, on retrouvait Marie-Claire Alain (oeuvres de J.S. Bach enseignées à l'orgue Wilhelm de St. Matthias), James-David Christie (répertoire nord-allemand du 17e siècle enseigné à l'orgue Beckerath de l'Immaculée-Conception), John Grew (répertoire classique français enseigné à l'orgue Wolff de la salle Redpath), Olivier Latry (répertoire de Marcel Dupré et ses élèves, enseigné à l'orgue Casavant de Saint-Nom-de-Jésus), Guy Bovet (répertoire espagnol enseigné à l'orgue Guilbaut-Thérien de Saint-Léon de Westmount). S'ajoutaient à cela deux cours d'improvisation différents donnés par William Porter et Thierry Escaich, un cours de continuo donné par Hank Knox,un cours intitulé "service playing" donné par Patrick Wedd et même un cours de pianoforte donné par Tom Beghin. On pouvait s'inscrire à un ou plusieurs de ces cours soit comme participant actif ou comme auditeur. De plus, il était possible d'avoir accès à divers instruments de pratique localisés dans les environs de l'Université McGill. J'ai opté pour l'improvisation avec William Porter comme participant actif, et pour le cours sur Bach, avec Marie-Claire Alain (première semaine) ainsi que pour l'improvisation avec Thierry Escaich (deuxième semaine) comme auditeur. Je tiens ici à parler un peu de ces cours. Le cours de William Porter se déroulait à l'église St. John the Evangelist et consistait à improviser à partir d'un cantus firmus. Lors de la première semaine, nous avons exploré un style plutôt modal et contemporain. La deuxième semaine était consacrée à toutes sortes d'exercices permettant d'arriver à improviser des chorals dans le style baroque. À souligner que M. Porter est un professeur très intéressant et surtout très encourageant, qui réussit à trouver beaucoup de positif dans ce qu'on fait. Marie-Claire Alain a, de toute évidence, été la plus "grande" (elle qui est si petite!) attraction de l'Académie d'orgue de McGill. Un grand nombre de personnes s'étaient données rendez-vous en l'église St-Matthias, où la chaleur était vraiment infernale, comme à beaucoup d'endroits à Montréal, pendant ces deux semaines de canicule. La première semaine était consacrée aux oeuvres de jeunesse de Bach et à celles composées dans un but didactique. Au tout début du premier cours, Madame Alain a donné un petit cours d'histoire sur Bach. J'ai pu apprécier la grande clarté de son enseignement, et j'ai été fort impressionné par son énergie, vraiment surprenante pour son âge (il fallait la voir tirer les jeux!). Le cours de Thierry Escaich (qui, pour ceux qui ne le connaissent pas, est le successeur de Maurice Duruflé aux orgues de l'église Saint-Étienne-du-Mont à Paris) avait lieu à Saint-Nom-de-Jésus. Il portait sur des styles d'improvisation propres à la France du 20e siècle. M. Escaich s'est surtout attardé au rythme et à la forme, et les participants devaient improviser passacailles, paraphrases sur des thèmes grégoriens et pièces en style libre. Il jouait souvent lui-même des exemples de ce qu'il voulait obtenir en les commentant et cela, je trouve, était particulièrement éclairant. En plus d'enseigner, chaque professeur était invité à se produire dans le cadre d'une série de concerts en lien avec l'Académie. Leurs programmes étaient la plupart du temps adaptés à l'esthétique de l'instrument sur lequel avait lieu leur performance et avaient souvent un lien avec ce qu'ils enseignaient. Deux de ces concerts faisaient partie du Festival des mercredis de l'orgue à l'Oratoire St-Joseph. C'est en ces lieux que Marie-Claire Alain s'est produite devant un grand auditoire, estimé par certains à 3000 personnes! Son concert était consacré uniquement à Jean-Sébastien Bach, qu'elle joue avec beaucoup de clarté et de vivacité. L'autre concert à l'Oratoire, qui a été lui aussi un des faits marquants de l'Académie, a été celui de Guy Bovet. Il était difficile de s'empêcher de sourire en l'écoutant jouer l'Elevazione et Polonaise de Antonio Diana, un compositeur espagnol du 18e siècle, et surtout une de ses composition intitulée 3 tangos ecclésiastiques, dans laquelle les anches en chamade de l'orgue ont résonné d'une manière plutôt sarcastique... Mais les deux moments les plus appréciés de l'Académie ont été les spectaculaires récitals d'ouverture et de clôture "jumeaux" donnés respectivement par Olivier Latry et Thierry Escaich en l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus. Leurs programmes étaient conçus de manière à mettre en valeur leur virtuosité transcendante. Les deux ont interprété des oeuvres françaises du 20ème siècle, des pièces de Escaich et ont offert des improvisations à couper le souffle sur des thèmes fournis par des professeurs de l'Académie. Ils ont su admirablement mettre en valeur les mille ressources du grand orgue Casavant du lieu. Et je dois dire qu'au concert de clôture, plus d'une personne est restée ébahie par l'énergie vraiment "atomique" déployée par Thierry Escaich, qui est une de ces "bêtes" de l'orgue qui font littéralement frémir les consoles. Sans parler en détail des autres concerts, je dirai qu'ils se sont tous avérés très variés et de haut niveau. J'ai donc pu constater, au cours de ces deux semaines, à quel point l'Académie d'orgue de l'Université McGill est un événement de premier plan pour le monde de l'orgue en Amérique du Nord, tant par la qualité et la diversité des cours et concerts qui y sont présentés, que par la richesse des échanges entre participants. Il faut souligner le merveilleux travail de John Grew (directeur artistique), de Debbie Giesbrecht (directrice exécutive) ainsi que de leurs aides, qui contribuent à conférer une ambiance chaleureuse et dynamique à cette académie. Cependant, il semble que trop d'organistes et de mélomanes québécois laissent passer cette occasion unique de perfectionnement. Les plus grands interprètes viennent chez nous, pourquoi ne pas en profiter? 1 François Grenier est étudiant en classe concours avec Danny Belisle au Conservatoire de musique de Québec. |
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| Quelle réjouissance! Un manuscrit de cantiques de Noël à Montréal au XVIIIe siècle par Élisabeth Gallat-Morin |
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Nous remercions l'auteure et le Journal de musique ancienne d'avoir bien voulu nous accorder l'autorisation de reproduire cet article. « Dans cette étable que Jésus est charmant », « Cher enfant qui vient de naître.. », il suffit d'entendre le timbre de ces cantiques pour se sentir dans l'esprit des fêtes de Noël. Aussi loin que porte notre mémoire, ces chants ont fait partie des réjouissances. Comme l'écrivait Ernest Myrand en 1907, « ils ont réjoui notre jeunesse, bercé notre première enfance ». Et il ajoute : « nous croyons fermement reconnaître, en écoutant ces Noëls anciens de la Nouvelle-France (c'est le titre de son livre), les voix de nos premiers ancêtres ». Nous savons, en effet, que ces cantiques nous ont été transmis de longue date, de génération en génération, par tradition orale; leur origine, toutefois, se perd dans le flou du passé. Pour nous, ils ont toujours été là. Une nouvelle découverte Voilà que la découverte d'un manuscrit de cantiques vient conférer une dimension concrète, tangible, à cette tradition ancienne. En parcourant le contenu d'une boîte aux Archives nationales du Québec à Montréal, j'en ai retiré un cahier relié de musique manuscrite1 qui semblait plus ancien que les documents du XIXe siècle parmi lesquels il se trouvait. En soulevant la couverture, j'ai ressenti une impression de déjà vu. Notée sur quatre lignes à la manière du plain-chant, l'écriture de ces cantiques était la même que celle d'un petit livre de plain-chant conservé aux Archives sulpiciennes de Montréal. J'avais déjà identifié cette écriture comme étant celle de Jean Girard, organiste à Notre-Dame de Montréal de 1724 à 1765, grâce à la comparaison avec un document signé de sa main et avec un ajout manuscrit dans un livre d'orgue imprimé lui ayant appartenu. (Hormis sa signature, son écriture n'apparaît pas dans le manuscrit du maintenant célèbre Livre d'orgue de Montréal). Voilà que ces cantiques populaires viennent ajouter une dimension supplémentaire à ses activités d'organiste, de responsable de la liturgie et de maître d'école. ![]() Fragment d’un manuscrit du XVIIIe siècle, probablement de la main de Jean Girard (Archives nationales du Québec, à Montréal, collection de musique, P 233). Ce manuscrit de cantiques spirituels comporte une quarantaine de pages, toutes écrites de la même main. La musique est notée sur des portées quatre lignes tracées en rouge; cette manière de noter était plus familière aux chantres d'église que les cinq lignes qui servaient à noter la musique instrumentale. Jean Girard, étant à la fois organiste et chantre, était à l'aise dans les deux systèmes. Les paroles des cantiques sont en français contrairement aux chants latins qui font partie intégrante de la liturgie (Messe, Magnificat). Les cantiques étaient utilisés hors liturgie: ils servaient à instruire le peuple sur les différents aspects de la religion en adaptant des paroles pieuses à des airs connus, fredonnés dans tous les milieux. On les chantait lors des saluts, des catéchismes, des retraites et des missions. Un des rares textes relatant les Usages de la paroisse de Montréal concernant l'office divin, qui date de 17962, décrit les cérémonies du Jubilé de l'Année Sainte qui fut observé en Nouvelle-France en 1729 : « Pendant tout le temps du Jubilé il y eut quantité de Demoiselles de la Ville à qui on apprenait des Cantiques Spirituels et des Motets, et qui les chantaient soit au sermon, soit au Salut. » Cela se passait quatre ans après l'arrivée dans la paroisse de Jean Girard qui devait y tenir l'orgue pendant quarante ans tout en dirigeant le chant; peut-être est-ce lui qui eut la tâche d'apprendre les cantiques aux « Demoiselles de la Ville », afin de rehausser les nombreux offices qui eurent lieu pendant les deux mois que dura le Jubilé. Chantons Noël Parmi les cantiques du manuscrit se trouvent cinq Noëls très répandus au XVIIIe siècle : Quelle réjouissance, Grand Dieu que de merveilles, Ça bergers plus de tristesse, Dans cette étable et Cher enfant qui vient de naître. Les deux derniers nous sont encore très familiers : ils font partie des chants traditionnels recueillis et publiés par Ernest Gagnon au début de ce siècle et, il y a quelques années seulement, les Petits chanteurs du Mont-Royal les interprétaient, sous la direction de Gilbert Patenaude, accompagnés par l'Ensemble Arion, sur leur disque consacré aux Noëls de la Nouvelle-France. Où Jean Girard a-t-il puisé les cantiques de son manuscrit? Ce livre est une « table d'airs » comme on en trouve souvent à la fin des livres imprimés de cantiques, dans lequel est noté le timbre (ou air) de chaque cantique, avec les paroles de la première strophe seulement; ces airs ou « timbres » pouvaient servir de support à de nouvelles paroles, selon les circonstances. Sans prétendre à une étude exhaustive du cantique français (même les spécialistes s'y perdent, tant le champ est vaste), j'ai réussi à retracer la plupart dans des livres anciens; les religieuses de l'Hôtel-Dieu de Québec en ont conservé quelques-uns précieusement, ce qui nous permet de consulter aujourd'hui ces trésors du passé. Un des livres de cantiques les plus célèbres du XVIIIe siècle est celui de l'Abbé Pellegrin, qui se servait de chansons populaires, de vaudevilles (chansons des villes), d'airs d'opéra de Lully, de Campra et d'autres airs connus, pour véhiculer son message spirituel; ses ouvrages connurent de nombreuses éditions et révisions. L'Hôtel-Dieu de Québec possède un volume où plusieurs des livres de l'Abbé Pellegrin sont reliés ensemble, parmi lesquels ses Noëls nouveaux de 1711. On y trouve Quelle réjouissance, sur l'air « guai lan la, lan lire », ainsi que Cher enfant qui vient de naître, qui emprunte l'air du vaudeville « Prens ma Philis, prens ton verre ». Dans un autre petit livre publié chez la Veuve Huhault en 1737 et qui est « a l'usage de Sr St Gabriel de lhotel Dieu », on retrouve Quelle réjouissance, ainsi que Grand Dieu, que de merveilles. Le très beau cantique Dans cette étable est publié par Garnier en 1750 dans les Nouveaux cantiques spirituels; il se chante sur un air connu « Dans ce bel âge », qui sert aussi à un chant moins joyeux, Triste nauffrage. Garnier publie également Grand Dieu et Cher enfant, dont la popularité se maintient à l'époque de toute évidence. La tradition se poursuivit au Québec durant le XIXe siècle, lorsque l'Abbé Daulé, aumônier des Ursulines, qui avait fui la Révolution française, publia en 1819 son Nouveau Recueil de Cantiques à l'usage du Diocèse de Québec. Parmi d'autres Noëls traditionnels, on y reconnaît Cher enfant et Dans cette étable, qu'Ernest Gagnon entendit encore chanter vers la fin du siècle et publia à nouveau, afin que ce patrimoine musical ne fût pas perdu. Noël à Ville-Marie Dans cette période des Fêtes, transportons-nous par la pensée à une veille de Noël à Ville-Marie vers le milieu du XVIIIe siècle. Les cloches installées dans la nouvelle tour en 1727 appellent les quelque 3 500 membres de la paroisse. Les habitants se dirigent vers l'église de pierre qui ferme la rue Notre-Dame, en marchant sur la neige qui a été aplatie devant chaque maison (ordonnance de l'Intendant oblige). Démolie en 1830, l'église se trouvait devant l'actuelle basilique Notre-Dame et sa façade était à angle droit avec le vieux séminaire, seul témoin de cette époque qui ait subsisté dans le quartier. À l'intérieur de l'église « on allumait tous les lustres », nous apprend le texte cité plus haut sur les usages de la paroisse. Il y eut une Messe de Minuit jusqu'en 1760 (date fatidique) et « on y mettait les ornements de Drap d'or ». Une visite au joli petit musée de Notre-Dame3, où sont exposés les superbes vêtements liturgiques brodés par la recluse Jeanne Le Ber, fille d'un marchand de Montréal, nous donne une idée de la splendeur qui entourait ces moments fastes de la vie de la petite communauté. Il faut ajouter à ce cadre la grande croix de bois sculptée par Paul Jourdain qu'on peut toujours voir à Notre-Dame, la statue en argent de la Vierge, les vases sacrés, les chandeliers, la plupart des dons effectués par de hauts personnages de France, ou encore par les Sulpiciens qui n'hésitaient pas à dépenser leur fortune personnelle au profit de la paroisse. Le choeur où se tenaient les ecclésiastiques était situé derrière l'autel; le petit orgue à un clavier étant placé dans le fond du « rond-point » du choeur. Le Supérieur des Sulpiciens s'y tenait du côté de l'Évangile, le célébrant de l'autre, avec les chantres. À onze heures du soir on entonne solennellement le Venite exultemus Domino. Peut-être les « Demoiselles de la Ville » chantent-elles alors quelques cantiques de Noël, comme à l'époque du Jubilé. Pendant la Messe elle-même, on entend les versets latins de la Messe Royale de Dumont, qui peuvent alterner avec les pièces du Livre d'orgue de Montréal. Les chants du Propre de la Messe sont puisés dans l'un des Graduels conservés encore dans les archives sulpiciennes : puer natus est nobis, « un enfant nous est né », chante-on à la troisième messe. Les cantiques de Noël résonnent de nouveau à l'Offertoire et à la sortie... « Quelle réjouissance, dans ces beaux lieux, règne pour la naissance du Roi des Cieux! » Notes:
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| Léonce de Saint-Martin organiste de Notre-Dame de Paris (1937-1954) par François Widmer |
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Louis Vierne (1870-1937), organiste titulaire de Notre-Dame dès 1900, parcourut le chemin de l'existence au travers de drames innombrables, torturé dans son corps et son esprit. Sa vie tourmentée ne lui avait pas permis une véritable entente avec le clergé de Notre-Dame. Et c'est même en de mauvaises conditions physiques et psychiques qu'il se prépara à son sept cent cinquantième concert, fixé au mercredi 2 juin 1937. Le chanoine Favier, archiprêtre de Notre-Dame, l'avait avisé que ce concert serait le dernier; on ne lui ferait plus pareille faveur! Vierne avait en fait décidé de partager le programme avec Maurice Duruflé, se réservant de commencer par son tout récent Tryptique pour grand orgue et des improvisations sur trois thèmes liturgiques. Le public était dense; s'y trouvaient notamment Jean Langlais, Gaston Litaize et Pierre Segond (qui évidemment en parlèrent ultérieurement). Au moment d'entamer son improvisation sur l'Alma Redemptoris Mater, Vierne chancela, porta une main à son cœur, et expira à la console. Personne ne conteste qu'en son esprit, depuis quelque temps, il avait souhaité que Maurice Duruflé lui succède (plutôt que son suppléant Léonce de Saint-Martin), mais sans doute étaient-ils nombreux ceux qui pouvaient légitimement briguer cet honneur. Et, Dieu lui eût-il encore prêté vie, que peut-être Vierne aurait bientôt changé d'avis. On a en effet des raisons de croire son premier biographe Bernard Gavoty (1908-1981) lorsqu'il déclare que «...cette nature faite de sursauts contradictoires stupéfiait ceux qui partageaient sa vie. Certains prenaient les plus futiles prétextes .» Et aussi : « Il vit dans une sorte d'émoi latent, et tout choc qui vient à le frapper se traduit en remous disproportionnés .» Ou encore : « Il passait avec la plus admirable facilité de la tendresse au sarcasme (...), variant au moindre souffle, soumis à toutes les influences. » La succession fut ensuite très rapidement réglée. Les « jeunes loups » de l'époque, soit Jehan Alain (*1911), Maurice Duruflé (*1902), Jean Langlais (*1907) et Gaston Litaize (*1909)3, firent immédiatement acte de candidature, pensant qu'un concours serait organisé4. Mais le Chapitre de Notre-Dame, souverain et par décision unanime, titularisa très rapidement Léonce de Saint-Martin (il s'agissait en quelque sorte d'une confirmation de la décision de 1932 d'officialiser sa suppléance). Cette nomination entraîna aussitôt un grand remue-ménage, fait de polémique et de ragots, qui ne s'apaisa guère lorsque des avis légitimement contraires s'exprimèrent, tels que si bien résumés par ces mots de Georges Migot5 : « Je vous dis ma joie d'homme, d'ami, de musicien, de vous savoir nommé définitivement à ce poste digne de vous puisque, depuis des années, vous êtes digne de lui. » Mais à n'en pas douter, les raisons du Chapitre n'avaient pas été qu'artistiques. On ne peut nier que la vie tumultueuse de Vierne avait créé une atmosphère singulière sur la tribune, qui était devenue une coulisse de théâtre ou un salon rempli de potins, ce pourquoi les membres du clergé s'irritaient en permanence. Ce qu'ils connaissaient de Léonce de Saint-Martin, sa vie calme et réglée, dans la sérénité, leur promettait l'apaisement entre l'autel et la tribune. Avec le recul, on ne se trompera guère en estimant qu'avec Maurice Duruflé la situation aurait été fondamentalement la même, mais personne ne voulut prendre le moindre risque. Il fallait faire tabula rasa, tirer un trait définitif sur l'ère Vierne. Celui-ci, en révélant sa préférence pour Duruflé, ruina du même coup sa candidature. On peut pratiquement considérer ce dernier comme une « victime historique »! Mais il resta d'une dignité parfaite, et ne fut pour rien dans le dénigrement de Saint-Martin. La question n'est maintenant pas tant de décider si le Chapitre de Notre-Dame avait eu tort ou raison de renoncer à tout concours6. La question est bien plutôt, évidemment, de savoir si Saint-Martin occupa son poste en l'honorant d'une évidente compétence, ou s'il fut un « usurpateur ». Le problème, si problème il y a, fut parfaitement exposé par Guy Bovet voici un quart de siècle : « Le nom du successeur de Louis Vierne est souvent prononcé avec ironie et une pointe de cette affectation que l'on croit être de bon ton dans les salons de Paris. À tort? Le mieux serait d'y aller voir soi-même. »7 C'est en fait, ni plus ni moins, ce qu'ont toujours demandé, inlassablement, les responsables de l'Association des Amis de Léonce de Saint-Martin, fondée en 19638 en quelque sorte pour préparer la commémoration des dix ans de la disparition de celui-ci. Mais voilà, des légendes se sont formées, qui se sont transmises, sinon de père en fils, du moins de maîtres à élèves (des pressions ont même été exercées - dans les décennies passées - pour dissuader de jeunes organistes français de trahir le « politiquement correct », c'est-à-dire de s'intéresser aux œuvres de Saint-Martin). On évoque perfidement un « petit amateur », un prétendu « piètre interprète » et « piètre improvisateur ». Et un critique écrit ceci : « Léonce de Saint-Martin ne peut pas ne pas être influencé par les maîtres (...), Franck, Widor, Vierne. Aussi n'est-il pas étonnant que l'originalité de sa musique, qui n'est pas celle d'un maître, ne nous ait pas paru évidente. Tout au plus peut-on parler d'un adroit plagiat et non d'une musique personnelle. » En un mot comme en cent, son œuvre ne peut être que « du mauvais Vierne » ! Saint-Martin n'était pas diplômé du Conservatoire de Paris, ni d'aucun autre9; mais finalement, Jean Sébastien Bach pouvait-il quant à lui exhiber des diplômes? Une évidence porte à réfléchir, tout de même. C'est le fait que le dénigrement ne s'institua qu'en 1937, et non pas dès 1919, lorsque Saint-Martin entama sa carrière d'organiste professionnel, ni en 1920 (début de ses suppléances à Notre-Dame10), ni en 1924 (sa désignation par Vierne comme suppléant succédant à Dupré), et pas davantage pour la douzaine d'années qui suivirent, marquées de concerts nombreux (dont des tournées à l'étranger et d'innombrables récitals radiodiffusés) et d'une intense activité de compositeur11, sans oublier des enregistrements discographiques dès 1930. Il est vrai qu'une brouille survint au début des années 1930 entre Vierne et Saint-Martin (dit pudiquement : « on les brouilla »), mais le Chapitre de Notre-Dame désigna ensuite Saint-Martin en 1932 comme suppléant officiel12. Chacun pouvait comprendre que cela lui offrait un tremplin pour succéder à Vierne (alors âgé de 62 ans). Personne ne s'en était offusqué. La discorde entre Vierne et Saint-Martin malheureusement ne concerna pas qu'eux seuls, puisqu'elle fut à l'origine du parti pris des Amis de l'Orgue contre le second nommé, lui qui avait pourtant aidé à la création de cette influente association en 1927. (à suivre) Notes:
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| Pourquoi une intégrale des oeuvres d'orgue de Bach? par Réal Gauthier et Marc-André Doran |
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Pour nous, présenter une série de 16 récitals découle d'une profonde nécessité intérieure et représente un rendez-vous essentiel au coeur du grand voyage musical proposé par Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Ce projet ne correspond ni à une étude de marché, ni à un anniversaire ou à un festival, mais plutôt à notre désir d'ouvrir ce coffre aux trésors et d'en exposer à tous le formidable contenu. Dans son oeuvre, Bach a réalisé la synthèse de près de cinq siècles d'histoire de la musique. Considéré en Allemagne comme le plus grand organiste de son époque, le Cantor de Leipzig n'a cessé d'écrire pour son instrument de prédilection, depuis ses premières oeuvres jusqu'aux derniers jours de sa vie. La forme du choral, qu'il a si souvent pratiquée, s'enracine directement dans la mélodie et les paroles des chants sacrés élaborés à la fin de la Renaissance par Martin Luther et ses collaborateurs. Bach s'est exprimé comme être humain, artiste, artisan et croyant. Sa musique sacrée, qui comprend l'oeuvre d'orgue, a scandé le rythme des jours de la société de son temps. Baptêmes, mariages ou funérailles, fêtes du protestantisme, de Noël et de Pâques, bénédiction d'un nouvel orgue, récoltes, anniversaires princiers...: la musique de Bach résonnait, s'élevant toujours au-delà des événements, des idées et des mots. Goethe la comparait d'ailleurs à un « entretien de Dieu avec Lui-même, avant la création du monde ». Et à notre monde à nous, Bach offre l'expérience active de la contemplation et de la beauté. Le catalogue Bach Werke Verzeichnis (BWV), établi en 1950 par le musicologue Wolfgang Schmieder, compte un peu plus de 230 pièces pour orgue. Nous savons aujourd'hui que toutes ne sont pas de Bach. Certaines ont été écrites par des fils, des élèves et des contemporains qui formaient ce que nous pourrions appeler « le cercle de Bach ». Nous avons retenu quelques-unes de ces pages, de même que toutes celles dont l'authenticité est unanimement reconnue. Nous souhaitons qu'au fil de ces récitals, nous nous retrouvions tous unis par l'amour et l'admiration que nous inspirent la musique et la personnalité de Jean-Sébastien Bach dont l'objectif était, selon ses propres termes : « la récréation de l'esprit ». Les 16 récitals seront donnés en alternance sur les deux orgues dont nous sommes titulaires soit l’orgue Wolff de l’église de la Visitation et l’orgue Beckerath de l’église de l’Immaculée-Conception. Tous les renseignements pertinents se retrouvent sur le site : www.bachintegral.org |
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| L'orgue sur le web par André Côté |
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De façon générale, les sites internet sont un support privilégié pour la présentation de matériel audio-visuel. Ainsi, une bonne part de ceux que j’ai eu à recenser depuis quelques années, pour la présente chronique, vous a permis d’apprécier de superbes photographies ou des extraits sonores. Voici donc, dans une autre optique, un site au contenu plus informatif. Le site « Orgues à nos logis » annonce ses couleurs avec le sous-titre révélateur de sa page d’accueil : « L’orgue dans tous ses états (sauf ceux qui sont déjà sur les autres sites) ». Sous une présentation qui ne manque pourtant pas d’originalité, le site de Didier Guiraud de Willot offre au lecteur une grande quantité de documents en relation avec l’orgue, son histoire, son esthétique, sa facture, etc. De façon particulière, les transcriptions de traités anciens sur la facture et l’interprétation pourront attirer votre attention. Avant de quitter, ne manquez pas de faire une visite à la section « AbéCéDaire de l’orgue ». Une lecture, faite au cours de la période estivale, m’a révélé l’existence d’un orgue bien particulier, celui du « Tokyo Metropolitan Art Space » Cet orgue monumental pesant 70 tonnes consiste, en réalité, en trois orgues répartis dans deux buffets dos-à-dos, situés sur une plate-forme rotative. On y retrouve un orgue dans le style de la renaissance flamande, un second dans l’esprit baroque allemand et un troisième adapté à la musique française classique et du milieu du 19e siècle. Les buffets sont assortis aux styles présentés. Le site OrganFocus présente, grâce à la collaboration de ses membres, à l’image d’une revue-papier, des articles de fond, des suggestions de livres ou de disques et, bien sûr, des photos. Malgré le fait que le contenu ne soit pas toujours très récent, une section bien en vue au milieu de la page d’accueil peut présenter un intérêt certain. Celle-ci inclut, sous forme de tableau pratique, une liste d’événements à venir (concerts, classes de maître, festivals, etc.). L’intérêt particulier de ce site relève du fait qu’un onglet « Enter events » permet au visiteur de donner les informations relatives à un événement et d’ainsi voir celui-ci publié dans cette liste. En terminant, vous trouverez sur le site de L’Encyclopédie canadienne le texte complet de la prestigieuse Encyclopédie de la musique au Canada (EMC), soit quelque 4000 articles sur tous les aspects de la musique au Canada dont plusieurs portent sur l’orgue, sa facture, son histoire, les compositeurs et leurs œuvres, les interprètes, les institutions… |
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| Anniversaires en musique par Irène Brisson |
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2005 est décidément l’année des contrastes! Dans un précédent numéro de Mixtures, nous avions évoqué quelques compositeurs ayant contribué modestement au répertoire de l’orgue. Nous poursuivons avec deux musiciens très différents ; Maurice Greene et … André Jolivet! Maurice Greene (1696-1755), un des plus talentueux des contemporains anglais de Haendel, fut l’élève de Jeremiah Clarke, étudia à l’Université de Cambridge qui lui décerna un doctorat, succéda en 1718 à son maître Richard Brind comme organiste à la cathédrale Saint-Paul où il avait fait son apprentissage musical, et en 1727 à William Croft comme organiste et compositeur de la Chapelle royale de Londres, avant d’accéder à 39 ans à la plus haute fonction de musicien en Angleterre, celle de Maître de la musique du roi. Il compte parmi ses élèves William Boyce et John Stanley. Fondateur de l’Academy of Ancient Music, Maurice Greene avait entrepris une anthologie de la musique sacrée anglaise qu’il ne put compléter en raison de sa mort prématurée. Auteur de nombreuses compositions religieuses, il laisse également quelques suites pour clavecin et des voluntaries pour orgue. Douze d’entre eux ont été publiés en 1779 et témoignent de son solide métier contrapuntique : écrits pour la plupart en deux mouvements (lent et vif) et sans avoir recours à la pédale, ils mettent en valeur la rondeur et la gravité des jeux de « diapason » (montres) des orgues anglais dans les premiers mouvements et le caractère brillant des soli ou des tutti (« full organ ») dans les mouvements fugués qui évoquent le style de Haendel. Il existe une édition de huit de ces voluntaries par Gwilym Beechey (A-R Editions Inc., Madison, 1975) et une réédition complète chez Chanvrelin (Paris). Ces pièces techniquement très accessibles trouveront une place de choix dans les offices religieux. Petit velours pour les organistes de Québec : quel plaisir ce serait d’entendre ou de jouer ces pièces sur l’orgue historique England & Son de la cathédrale anglicane ! Parmi les surprises que nous réserve 2005, le centenaire de la naissance d’André Jolivet (1905-1974). Cet élève de Varèse, co-fondateur du « Mouvement Jeune-France » aux côtés de Messiaen, de Daniel-Lesur et d’Yves Beaudrier, respecté professeur de composition au Conservatoire de Paris depuis 1966, laisse trois titres pour orgue, qui valent le détour. Les Cinq interludes de 1943 (Éditions Leduc) ont été composés pour accompagner une messe et comprennent une Introduction mélismatique, deux Interludes aux allures de choral, jouant sur de savoureuses dissonances et sur des thèmes limpides confiés au soprano, un Interlude (la pièce centrale du recueil) très dépouillé et modal et une Conclusion très diatonique et un brin baroque. Des pages assez simples et idéales pour les offices religieux. Le Prélude apocalyptique de 1935 (Éditions Gérard Billaudot) fait allusion au texte de saint Jean et est d’un tout autre calibre. Le compositeur l’a retravaillé en 1961-62 pour en faire l’Hymne à l’univers. Jeux de sonorités et de nuances, rythmes complexes, exotisme, dissonances appuyées font de cette œuvre contemporaine de Messiaen une page résolument moderne. Du pur Jolivet! Enfin, Mandala (1969), une commande de la fondation hollandaise Schintgerprijs Zwolle (Prix Schnitger de Zwolle) se tourne vers l’univers de l’Inde et cherche, à travers sept sections, à recréer le jeu de couleurs qu’évoquent les figures géométriques du dessin méditatif et spirituel bouddhiste. Grappes de notes, clusters, rythmes et accords rappelant Messiaen, formules incantatoires abondent dans cette œuvre audacieuse de 21 pages et d’une durée de 15 minutes. Jean Guillou, qui en a assuré la création française, a indiqué ses registrations dans la partition éditée par Billaudot. Un enregistrement des œuvres pour orgue de Jolivet a été réalisé en 2002 par Charles Matthews aux grandes orgues Cavaillé-Coll de la Madeleine (Priory Records, PRCD 772). Quelques interprètes bien connus, tels Jean Guillou et Daniel Roth en ont également gravé. |
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| Dans le monde du disque par Gaston Arel |
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| Nouvelles brèves | |
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par Rémi Martin L’orgue sinistré À l’été 2005, Sylvie Poirier et Philip Crozier ont effectué une tournée de cinq concerts en Allemagne avec l’aide d’un support financier du Conseil des arts et des lettres du Québec. |
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| Revue des revues compilée par Gaston Arel |
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